Si, si, il y a des enseignants
sensibilisés...
Du temps de la craie , ça faisait toujours marrer les élèves au début de l’année quand le je leur disais de recopier
ce que j’avais écrit en rouge alors qu’il n’y avait que du marron, ou bien d’encadrer comme moi le COD en jaune, ce que je m’étais appliqué à faire dans un splendide vert clair.
Mais bon, les explications données, ils acceptaient très vite la chose et allaient me trouver d’eux-mêmes la bonne teinte dans la boite de craies pour me la donner. Et à celui
ou celle qui souriait encore bêtement quand je me trompais, il y en avait toujours un pour lui dire d’un ton outré : « mais tu ne sais pas que le maitre il ne voit pas les couleurs comme nous ? ». Souvent
les enfants sont plus compréhensifs que les adultes, il suffit de trouver les mots justes. J’espère que ces enfants, aujourd’hui jeunes adultes, savent ce qu’est un daltonien et l’acceptent comme tel.
Par ailleurs, je n’ai jamais eu de difficultés particulières quand j’avais le temps (ce que je n’ai plus aujourd’hui, mais c’est un autre problème inhérent
aux conséquences des programmes et des horaires imbéciles qu’on nous demande d’appliquer) de proposer des activités picturales aux enfants. Jamais je ne leur ai demandé de reproduire quelque chose avec la bonne forme
et la bonne couleur. Je basais tout ce qui était de l’ordre du dessin sur l’humour, ce qui donc induisait la liberté de colorer de façon non conventionnelle. Pour ce qui était de l’ordre de la création,
je faisais du « à la manière de » Mondrian, Polock, Miro, etc. Et tout le monde était content , moi le premier car tout daltonien que j’étais , j’arrivais à faire jouer mes élèves
avec les couleurs et leur faire prendre du plaisir sans jamais avoir à citer ces noms barbares qui ne représentent rien pour nous, comme pourpre, terre de sienne, vermillon, cyan, ocre jaune , violet profond, bleu moyen et tutti quanti.
Mais revenons au présent : plus de craies, vive le tableau Velléda et ses belles 5 seules couleurs sur fond blanc : bleu, rouge, vert, orange... et violet, flûte !
Pas moyen de le distinguer du bleu, sauf qu’il est un poil plus foncé, ce que je ne vois évidemment que lorsque je compare les capuchons des deux feutres. Parce que quand je prends un feutre seul sans le comparer à l’autre,
loi des statistiques oblige, j’ai 50% de chances de me gourer. Donc, j’ai déclaré aux élèves qu’au tableau je n’écrirais qu’en bleu ou en violet, les 3 autres couleurs servant à la correction.
Pour le reste , je crée les exercices et les leçons sur l’ordinateur, et je les sors avec la photocopieuse noir et blanc : les jeux de caractères ( souligné, gras, italique, encadré, majuscule, police différente)
permettent de m’affranchir d’un code couleur qui à dire vrai emm...... autant les daltoniens que les trichromates normaux. Et ça suffit largement. Oubliée donc l’antique ronéo à alcool, les stencils (très)
longuement faits à la main avec des carbones hectographiques de teinte différente qu’il fallait changer pour mettre en évidence un mot, un verbe, un complément. Pour s’entendre dire le lendemain par les élèves
« Il doit bien être en rouge, le verbe ? Pourquoi il est marron, alors ? »
Bref, conclusion, pour ce que j’en constate au niveau des
élèves daltoniens ou pas, les symboles visuels sont plus efficaces et plus facilement intégrés que les codes-couleur. Peut-être une piste à suive pour les signalétiques au sens large, y a t il un scientifique
dans la salle pour faire une étude ? Cela dit, je viens de comprendre en cette rentrée 2009 que jusqu’à présent, j’ai agi comme un andouille. En effet, ma position professionnelle face aux couleurs a été
celle de l’esquive, que tous les daltoniens du monde pratiquent pour se protéger du regard ou de l’incompréhension des autres.
C’est ainsi que
ne mettant jamais, et pour cause, les enfants en situation de « se tromper de couleur » afin d’éviter aux daltoniens potentiels les désagréments scolaires que j’ai moi-même subi, et que relatent
avec souvent beaucoup d’humour (rétrospectif, toutefois) les témoignages du site, j’ai tout simplement négligé de dépister le daltonisme chez mes élèves. Avec peut-être des conséquences
sur leur orientation, avec à le clef le funeste « métier interdit pour cause de daltonisme » briseur de rêves, qui m’a valu une déprime à l’âge de 15 ans.
Mais on connait tous la chanson, pour se l’être entendue fredonner avec plus ou moins de mépris par le chanteur au moins une fois dans sa vie. Tout ça pour dire qu’en ce début
d’année scolaire 2009, j’ai expliqué comme d’habitude aux enfants que dans ma classe ils n’auraient pas droit à la symbolique habituelle des couleurs puisque leur maitre était le 5ème Dalton après
Averell. Puis, chose que je n’avais jamais faite, j’ai voulu leur faire comprendre, par l’Internet et vidéoprojecteur interposé (vive la technologie, ça n’aurait pas été possible il ya seulement 3
ou 4 ans) ma façon de voir le monde : photo de la péniche, des casquettes, des fraises, des tableaux, etc. Et puis je leur ai montré quelques planches du sieur Ishihara en disant : « eh bien moi, je ne vois que des
points, mais vous, par contre vous devriez voir tel nombre ». Ben oui, sauf qu’il y en avait 5 (trois garçons et deux filles) qui y voyaient pétoule comme on dit chez nous. J’avais simplement oublié que nous sommes
tout de même 1/10 du genre humain, et que statistiquement il devait y avoir 3 jeunes Daltons dans la classe. Et j’ai subitement réalisé que dans ma carrière, j’ai dû en laisser filer dans la nature près d’une
quarantaine ! La honte absolue ! Du coup, ceux-là, je les ai choyés : je leur ai fait faire le test de J. Jouannic sur internet (tous positifs, dont l’un à 98% !), et pour en avoir le cœur net je les ai
un peu questionnés sur des situations « colorées » qu’ils avaient pu vivre et qui avaient pu les dérouter ou les peiner suite à la réaction de leur entourage, mais chaque daltonien sait à
quoi je fais allusion. Puis j’ai dit à leurs parents qu’à mon avis, ils faisaient partie des nôtres, et que le plus sage était de consulter un ophtalmo qui confirmerait ou affinerait la suspicion. « Mais ce
n’est pas possible, il/elle connaît ses couleurs sans se tromper » ; « Vous croyez ? pourtant son cartable est rouge et il/elle ne m’a jamais dit qu’il était vert » ; « Ben
mince, alors, il/elle ne m’a jamais dit qu’il voyait les couleurs autrement ( !!!!?) » .
Incompréhension et ignorance générale
du phénomène sont bien une réalité. J’ai commencé par dédramatiser la chose : ce n’est ni une maladie, ni un handicap, juste une autre façon de voir, qui d’ailleurs quelquefois nous avantage
par rapport au commun des mortels. Mais j’ai insisté sur le seul danger, bien réel et autrement plus grave que le simple fait de ne pas percevoir toutes les couleurs. Ce danger, c’est la déconvenue dans les perspectives professionnelles,
si il n’y a pas, dès le diagnostic , un long et permanent travail des parents pour guider avec tact et douceur leur enfant vers une voie d’avenir professionnel qui ne se termine pas par un butoir aussi stupide, borné et injuste qu’inamovible
et inébranlable, genre Ishihara, anormaloscope ou lanterne de Beyne.
J’ai ensuite fait des recherches sur l’Internet, d’où découverte du
présent site ; j’espère qu’il n’est pas clos vu que les archives les plus récentes sont de 2008 ; j’ai recherché les Ishihara où seuls les Daltoniens voient quelque chose, et je les présentés
à la classe, ce qui a permis un débat très intéressant pour des CM2 : qui a « raison » ou « tort » dans sa vison ? Le soi-disant normal ? Le daltonien ? Les animaux
qui voient l’infrarouge ? Les oiseaux qui voient les colonnes d’air chaud ? La chauve-souris qui « voit » avec ses oreilles ? Le chien qui voit en noir et blanc ?
Au fait, c’est quoi la vraie couleur, puisque selon la lumière du soleil, d’une ampoule jaune, d’une lampe à UV, la couleur d’un objet n’est pas la même ? Et savez vous que
les objets n’ont pas de couleur en tant que telle, la couleur qu’on leur attribue n’est que celle(s) du spectre lumineux qu’ils réfléchissent ou qu’ils n’absorbent pas ? (bon là, j’avoue quand
même que c’était un peu ardu pour eux de conceptualiser le truc).